BA JIN

BA JIN
BA JIN

De tous les écrivains chinois de sa génération, Ba Jin est celui qui a joui, et jouit encore, de la plus grande popularité. Romancier de l’amour impossible, il a su exprimer toutes les aspirations, parfois contradictoires, d’une jeunesse écrasée sous le poids de la tradition. Victime comme tant d’autres de la révolution culturelle, il n’a pas hésité à reprendre la plume pour dénoncer des épreuves auxquelles nombre de ses amis et proches n’ont pas survécu.

Le jeune anarchiste

De son vrai nom Li Yaotang (connu aussi sous le nom de Li Feigan), Ba Jin est né le 25 novembre 1904 à Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, au sein d’une vieille et riche famille mandarinale. Très profondément marqué par ses origines sociales et familiales, le jeune garçon devient en outre rapidement orphelin, perdant successivement sa mère, à laquelle il était très attaché, en 1914, puis son père trois ans après. Cette enfance malheureuse, au milieu d’une famille où les dissensions sont constantes, a laissé au futur écrivain un souvenir tel qu’il ne pourra jamais l’oublier. Mais elle ne l’a pas non plus empêché de recevoir une bonne éducation traditionnelle, qui lui permet, entre autres, de lire Le Rêve dans le pavillon rouge , puis de s’ouvrir aux idées modernes. En 1920, Ba Jin, qui est inscrit à l’institut des langues étrangères de Chengdu, participe activement aux différentes manifestations organisées par les étudiants de la ville. Il se passionne pour les revues nouvelles que le mouvement du 4 mai 1919 a fait surgir dans tout le pays.

Il découvre alors l’anarchisme en lisant l’Appel à la jeunesse de Kropotkine et Le Grand Soir de Leopold Kampf. Avec des camarades il crée la Jun she («Société Égalité») et publie ses premiers articles, dont un sur Tolstoï. À Nankin, où il poursuit ses études secondaires à partir de 1923, puis à Shanghai, où il collabore à plusieurs publications anarchistes, il se met à correspondre avec celle qu’il appellera sa «mère spirituelle», Emma Goldman. Le mouvement anti-impérialiste du 30 mai 1925 le confirme du reste dans ses convictions internationalistes et il commence à apprendre l’espéranto. En janvier 1927, il quitte son pays pour la France où, plusieurs années avant lui, ont également séjourné les deux grands leaders de l’anarchisme chinois, Li Shizeng et Wu Zhihui.

À Paris, il vit des quelques subsides que lui envoie son frère aîné et habite un misérable hôtel du quartier Latin, proche du Panthéon, où il va admirer, entre autres, la statue de Jean-Jacques Rousseau. La Révolution française et le populisme russe le fascinent. Tout en traduisant l’Éthique de Kropotkine, il fait de très nombreuses lectures, notamment d’auteurs marxistes ou proudhoniens. Dans le domaine de la littérature, il aime Hugo, Zola et Maupassant. Quand, en 1927, Sacco et Vanzetti, auquel il a personnellement écrit, sont exécutés, il ne cède pas au découragement. Cependant, la trahison par Jiang Jieshi de la révolution chinoise, au cours de la même année, le pousse, malgré lui, au bord du nihilisme. Durant les derniers mois qu’il passe en France, en particulier au collège de Château-Thierry, il écrit son premier roman et lui donne pour titre: Miewang («L’Anéantissement»).

«L’Anéantissement»

Cette œuvre, publiée en 1929 dans le fameux Xiaoshuo yuebao («Mensuel du roman»), lui vaut une célébrité immédiate. Désormais, il ne pourra plus employer que le pseudonyme adopté à l’occasion de cette publication: «Ba» – où certains ont vu Ba kounine mais où l’écrivain prétend n’avoir jamais voulu mettre autre chose que le souvenir d’un de ses amis, Ba Enbo, qui se serait suicidé en se jetant dans la Loire – et «Jin» – transcription phonétique chinoise du «kin» de Kropotkin e. Fruit de la solitude et du désespoir, le livre décrit la vaine tentative d’un jeune poète, Du Daxin, pour tuer le chef de la police de Shanghai.

L’amour et la révolution

De retour dans cette ville à la fin de 1928, Ba Jin continue à s’intéresser au mouvement libertaire et à traduire diverses œuvres étrangères. Mais il semble surtout décidé à se consacrer à sa propre création romanesque. Outre de nombreuses nouvelles, pour une grande part d’inspiration française et réunies dans les trois recueils: Fuchou («La Vengeance»), Guangming («La Lumière») et Dianyi («La Chaise électrique») en 1931-1932, il entreprend presque simultanément la composition de plusieurs romans. De cette production considérable, au moins en volume, sinon en qualité, il est difficile de rendre compte.

Si on peut laisser de côté Xin sheng («La Vie nouvelle»), qui se présente comme la suite de «L’Anéantissement» et le médiocre Siqu de taiyangSoleil couchant»), trois autres titres méritent de retenir l’attention: Hai di meng («Le Rêve sur la mer»), qui évoque de façon allégorique la récente invasion de la Chine par les Japonais, Xue («La Neige»), qui s’inspire de Germinal pour décrire le sort tragique des ouvriers d’une mine, et Chuntian li de qiutian («L’Automne au printemps»). Cette dernière œuvre, toute pleine de la mélancolie d’une idylle brisée, est particulièrement intéressante dans la mesure où elle préfigure, sous une forme encore réduite, tous les développements que l’écrivain consacrera par la suite au thème de l’amour malheureux.

En 1931, Ba Jin a également en chantier deux grands romans qui deviendront chacun une trilogie. La première, Ai («L’Amour»), terminée en 1934, comporte trois parties, Wu («Le Brouillard»), Yu («La Pluie») et Dian («L’Éclair»), ainsi qu’un interlude Lei («Le Tonnerre»), qui se situe entre les deux dernières. Le romancier s’est donné pour but de faire le portrait d’une jeunesse partagée entre l’amour et la révolution. Après de longues hésitations et de nombreuses tergiversations, les moins lâches sacrifient leur vie sentimentale pour s’engager dans la voie révolutionnaire. Bien que l’auteur n’indique pas précisément de quelle révolution il s’agit, le caractère militant de l’œuvre, lors de la publication, ne passe pas inaperçu.

D’un côté, des critiques lui reprochent une simplification abusive de la psychologie de certains jeunes révolutionnaires. De l’autre, la censure du régime Guomindang se fait plus sévère, au point que Ba Jin juge préférable de quitter Shanghai pour vivre plusieurs mois au Japon, d’octobre 1934 à juillet 1935, sous une identité d’emprunt. Il en rapportera un recueil d’essais et un autre de nouvelles, intitulé Shen, gui, ren («Des dieux, des démons et des hommes»), où il évoque notamment ses démêlés avec la police japonaise.

L’émancipation de l’individu

La seconde trilogie, Jiliu («Le Torrent»), est de beaucoup la plus importante. Elle ne sera achevée que beaucoup plus tard, lorsque paraîtront ses deux dernières parties, Chun («Le Printemps», 1938) et Qiu («L’Automne», 1940). Mais le livre qui, en 1933, est publié isolément et rencontre un immense écho, La Famille (Jia ), aurait pu se suffire à lui-même. S’inspirant directement de l’expérience personnelle de l’auteur, il met en scène, au cœur même de Chengdu, les troubles qui viennent agiter le vieux clan familial des Gao lorsque l’autorité du patriarche est remise en question par ses descendants et que la cohabitation traditionnelle de plusieurs générations sous un même toit se révèle de plus en plus impraticable.

Le roman est habilement centré sur la différence de comportement des trois frères que sont Juexin, Juemin et Juehui. Le premier, qui est l’aîné, sait que tout l’équilibre de la famille repose sur lui; aussi, quand il lui faut renoncer à l’amour de sa cousine Mei pour épouser la femme que son père lui a choisie, il préfère se soumettre. Le second n’est pas prêt à se résigner et à accepter le sort qui l’attend, mais le plus résolu des trois frères à combattre le régime patriarcal qui leur est imposé est le plus jeune, Juehui. Lorsque la jeune servante Mingfeng qu’il aime se noie pour échapper au barbon vicieux qu’on lui destine, le garçon se décide à quitter définitivement sa famille et la ville.

Les deux parties qui succéderont à La Famille , ne feront que montrer, à travers les malversations des aînés et les souffrances des plus jeunes, la décomposition finale du clan Gao. Mais la trilogie se termine tout de même sur une note plus optimiste que la réalité vécue dont le romancier s’est inspiré. Non seulement Juexin ne se suicide pas comme le frère aîné de Ba Jin, mais Juemin finit par épouser Qin qu’il a toujours aimée, et Juehui, en qui l’écrivain semble avoir mis beaucoup de lui-même, est rejoint à Shanghai par sa cousine Shuying qui, elle aussi, s’est rebellée et entend mener désormais une vie totalement indépendante.

Ami de Lu Xun, qui a salué en lui «un écrivain plein de passion et aux idées avancées», Ba Jin, jusqu’à la guerre, a toujours refusé de s’inféoder, même aux organisations progressistes dont il semblait proche. Pendant plusieurs mois, en 1935, il a été, avec Jin Yi, rédacteur de la Wenxue jikan («Revue trimestrielle de littérature»). Par ailleurs, il a, des années durant, assumé la responsabilité des Éditions de la vie culturelle (Wenhua shenghuo chubanshe ), qui, grâce à lui, survivront au conflit. Mais, face à l’agression japonaise, l’écrivain ne peut pas ne pas s’associer au mouvement de résistance qui réunit alors la plupart des écrivains de son pays.

Tandis que l’extension de la guerre le chasse de ville en ville, Ba Jin profite d’un séjour à Guilin, où il vit de 1941 à 1943, pour composer sa troisième trilogie, Huo («Le Feu»). Œuvre essentiellement de propagande, le livre est destiné à exalter les sentiments patriotiques de la jeunesse chinoise, en particulier de jeunes chrétiens pour lesquels le romancier semble, dès cette époque, manifester de l’intérêt. À Guiyang, où il se marie en 1944, puis à Chongqing, l’écrivain rédige en même temps deux romans de taille plus réduite: Disi Bingshi («La Salle d’hôpital no 4») et Qi yuan («Le Jardin du repos»). Seul le second, qui évoque le retour de l’écrivain dans sa ville natale, a conservé un charme nostalgique suffisant pour retenir encore aujourd’hui l’attention.

Une libération sous conditions

Après la capitulation japonaise, Ba Jin a regagné Shanghai. Il y publie l’une de ses œuvres les plus attachantes: Nuit glacée (Han ye ). Située à Chongqing en pleine guerre, l’intrigue relate comment une jeune femme est amenée, en dépit de l’amour qu’elle lui porte, à abandonner son mari dont les espoirs et la santé ont été progressivement ruinés et qui ne peut se séparer de sa mère. Plaidoyer pour la liberté de la femme moderne, le livre est aussi empreint d’une vision tragique de la vie, où la mort d’un individu isolé peut prendre valeur de sacrifice.

Mais Ba Jin a toujours prétendu qu’il n’avait rien d’un philosophe, encore moins d’un métaphysicien. Il est donc difficile de le juger de ce point de vue. Cela d’autant plus qu’il s’est bien gardé, une fois survenu le régime communiste, de publier rien qui pût rappeler ses opinions passées. Le nombre et l’importance des honneurs qui lui furent décernés depuis lors pourraient laisser croire que l’homme s’est purement et simplement rallié. Vice-président de l’Union des écrivains, député du Sichuan puis de Shanghai, il a rapporté du front de Corée des «Histoires héroïques» (Yingxiong de gushi ), qui n’ont rien ajouté à sa gloire littéraire. Plus important, à cet égard, est sans doute le rôle qu’il a joué comme rédacteur en chef de Shouhuo («La Moisson») et de Shanghai wenxue («Littérature de Shanghai»).

Pendant la révolution culturelle, Ba Jin fut une des cibles préférées de la «bande des Quatre», notamment de Yao Wenyuan, qui l’avait déjà attaqué en 1957, et de Zhang Chunqiao, qui prétendait régenter le monde littéraire de Shanghai. Soumis à toutes sortes de tortures morales et d’humiliations physiques lors de meetings publics retransmis par la télévision, l’écrivain se voit reprocher notamment d’être l’instigateur de la vague d’anarchisme que les gardes rouges ont soulevée. Il est ensuite envoyé dans une école de rééducation pour cadres, d’où il ne revient que pour voir sa femme Xiao Shan mourir d’un cancer mal soigné. Octobre 1976 marque pour lui une «deuxième libération». À partir de 1981, il se retrouve à la tête de l’Union des écrivains.

En 1975, son nom a été avancé en France pour le prix Nobel. Mais Ba Jin se refuse plus que jamais à passer pour un écrivain. Reconnaissant l’auteur des Confessions comme son «premier maître», il lui importe avant tout de «dire la vérité» et «d’ouvrir son cœur au lecteur». Par personnages interposés, il est certain que c’est là ce que le romancier a toujours cherché et ce qui lui a valu la très large audience dont il a bénéficié.

Ba Jin ou Pa Kin
(né en 1905) romancier chinois. Il a décrit la vie sociale en Chine au début du XXe s.: Famille (1931), Nuit glacée (1947), Au gré de ma plume (1991).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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